Issue |
LHB
Number 2, Avril 2020
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Page(s) | 86 - 88 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/lhb/2020012 | |
Published online | 11 June 2020 |
Synthèse de présentation / Meeting Report
Compte rendu du colloque international « sécheresses, étiages et déficits en eau ». UNESCO−SHF
Proceedings of the International Conference “Droughts, low flows and water scarcity”. UNESCO − SHF
SHF Président honoraire,
Paris, France
* Correspondance : daniel.loudiere@free.fr
Reçu :
12
Mars
2020
Accepté :
12
Mars
2020
Le colloque international « Sécheresses, étiages et déficits en eau » s’est déroulé à Paris du 11 au 13 décembre 2019 au siège de l’UNESCO. La SHF en a piloté l’organisation avec le concours précieux des associations partenaires et des établissements de recherche (IRSTEA, IRD et BRGM). Malgré le contexte difficile lié aux grèves des transports, on a compté 212 inscrits dont un quart d’étrangers (Maghreb et Sahel). Conférences invitées et communications ont alterné pour traiter des aspects scientifiques, techniques et socio-économiques des sécheresses. Les principaux enseignements du colloque sont fournis dans cette synthèse qui a montré que les multiples aspects des sécheresses méritent des approfondissements ultérieurs.
Abstract
The International Conference on “Droughts, low flows and water scarcity” took place in Paris at UNESCO headquarters from 11th to 13th December 2019. SHF took the leadership for the organization with strong contribution of partner associations and research bodies (IRSTEA, IRD and BRGM). In the context of public transportation strikes, we gathered 212 participants (25% coming from abroad – Maghreb and Sahel). Invited talks and selected papers were chosen to deal with all features of droughts, technical, scientific and socio-economical. The main lessons to learn from the exchanges are given in this paper, but it is clear that many features of droughts still need to be deepened.
Mots clés : sécheresses / étiage / changement climatique / adaptation / déficit en eau
Key words: droughts / low flow / climate change / adaptation / water scarcity
© SHF, 2020
1 Objectifs
La décision d'organiser un colloque en 2019 sur le thème de la sécheresse a été prise dès la fin 2017 par la SHF, soit sept ans après un colloque organisé en 2010 sous la houlette de Daniel Duband, alors animateur de la division « hydrologie » de la SHF. Dès les premiers échanges, il a été décidé de lui donner un cadre élargi :
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contexte géographique international : Europe de l'Ouest, pourtour méditerranéen et Afrique sahélienne ;
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échanger surtout en français, compte tenu des régions visées, même si des présentations en anglais ou en espagnol étaient possibles ;
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accorder une place significative au contexte socio-économique de la sécheresse ;
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mobiliser de nombreux partenaires au niveau national (associations, services et établissement de l'État, centres de recherche, ingénierie) et au niveau international, notamment l'UNESCO dans le cadre du groupe français du Programme hydrologique intergouvernemental (PHI), animé par Nathalie Dörfliger du BRGM.
2 La préparation du colloque
Le colloque a été préparé avec des contributions sensibles du comité scientifique (62 personnalités issues d'organisations internationales et d'une dizaine de pays) ainsi que du comité d'organisation (22 personnes représentant l'UNESCO–PHI, les associations associées, les centres de recherche et l'AFB devenue OFB).
L'appel à communications a été lancé à la mi-2018 ; 125 propositions de résumés ont été reçues ; après examen par les membres du comité scientifique, 90 résumés ont été retenus pour rédaction d'une communication. Finalement, 60 communications sont retenues pour présentation orale et communication écrite. Parallèlement, il est décidé de faire appel à des experts pour présentation de conférences invitées afin de garantir une couverture cohérente des thèmes retenus.
L'UNESCO (division Sciences de l'eau) a accepté d'accueillir le colloque sur trois jours du 11 au 13–décembre 2019, après que soit abandonnée l'idée d'un jumelage avec le colloque EauMega2020 porté par l'UNESCO et ARCEAU (ce colloque se tiendra finalement fin 2020).
Le colloque a été précédé par un atelier organisé à l'AFD par l'OIEau (Christophe Brachet) sur le thème de l'hydrologie spatiale et par l'IRD (Gil Mahé) sur les activités du PHI, particulièrement en Europe et en Afrique.
Les ministères des Affaires étrangères (MEAE) et de l'Environnement (MTES) ainsi que l'AFD, l'AFB et l'OIEau ont accepté de soutenir financièrement l'évènement ; ce soutien a été mobilisé pour faciliter la participation des auteurs étrangers de communications et des agents dans les services déconcentrés de l'État.
3 L'organisation du colloque
L'UNESCO a mis à disposition du colloque trois magnifiques salles, les présentations du jeudi 12 décembre étant faites en parallèle dans trois salles différentes. L'organisation du colloque a souffert de conditions externes défavorables : les grèves des transports en France, notamment à Paris, et la concurrence de plusieurs évènements dont la COP25 à Madrid.
Le nombre des inscrits s'est arrêté à 212, sachant qu'une vingtaine d'auteurs ou de co-auteurs ont renoncé à s'inscrire compte tenu de difficultés d'obtention de visas ou de mobilisation de financements.
Finalement, 179 personnes ont participé au colloque dont environ un tiers pendant les trois jours.
À l'international étaient représentés :
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des institutions internationales, UNESCO, OMVS, OSS, OCDE, projet COSTEA ;
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des institutions du pourtour méditerranéen, Algérie, Liban, Maroc, Tunisie ;
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des institutions des pays du Sahel, Bénin, Côte d'Ivoire, Niger, Sénégal ;
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autres, Belgique, Pérou.
Participations notables de personnalités : Ali Bety, président de Costea, président du projet 3N au Niger, ancien ministre, Youssef Filali-Meknassi et Anil Mishra, UNESCO, division Sciences de l'eau, Zacharie Mechali, AFD, Simone Saillant, DEB, MTES et Thomas Liebault, MEAE, Eric Tardieu, OIEau
Contributions fortes d'institutions : AFD, AFB, BRGM, IRD, IRSTEA, Météo-France, OIEau ainsi que des associations partenaires de la SHF, notamment l'Académie de l'eau et l'AFEID.
Les sous-traitants mobilisés à l'UNESCO ont été performants, même si les liaisons Skype ont fait défaut le premier jour ; les opérations d'inscription, d'accès et de gestion des salles se sont bien déroulées avec un engagement remarqué des permanents de la SHF.
Les participants ont reçu sous forme papier les actes du colloque ainsi qu'une clé-mémoire avec les textes complets des communications. Il y a eu 33 abandons de dernière minute et neuf présentations à distance (Skype en majorité) ; l'abandon le plus compréhensible est celui d'Hadiza Kiari Fougou de l'université de Giffa au Niger (communication pertinente mais cinq jours de voyage !).
4 Quelques points saillants
Ces points ont émergé à travers les discussions en salle et la synthèse présentée par quatre étudiants en séance de clôture.
4.1 Les différentes formes de sécheresses, leurs définitions
L'état de sécheresse est un état relatif de moindre disponibilité de l'eau par rapport à une situation moyenne servant de référence en un lieu et à un moment donné ; en ce sens, la sécheresse est différente de l'aridité qui est une caractéristique du climat. La sécheresse est souvent d'origine météorologique sous forme d'insuffisance de précipitations, pluie et neige, sur une durée significative. Sa forme la plus visible est la sécheresse hydrologique avec des assecs trop longs, des débits anormalement faibles ou des niveaux trop bas dans les lacs naturels ; sous la forme hydrogéologique, la sécheresse se caractérise par le niveau anormalement bas des aquifères, sans qu'il soit toujours facile de distinguer l'origine météorologique ou anthropique du phénomène. La sécheresse des sols concerne plus spécifiquement l'agriculture. Les phénomènes décrits sont très hétérogènes aussi bien dans la durée que dans l'espace, ce qui en complexifie l'appréhension et le ressenti social.
4.2 Les enjeux de la mesure
Il s'agit de disposer d'un système complet et opérationnel, couvrant le cycle précédemment décrit. La connaissance des prélèvements est présentée par plusieurs intervenants comme insuffisante pour permettre des diagnostics précis. L'hydrologie spatiale semble une contribution positive mais partielle, notamment parce qu'elle nécessite un réseau in situ pour être vraiment fiable. Encore une fois, la nécessité de systèmes d'informations sur l'eau performants et pérennes a été relevée.
4.3 La sécheresse, un sujet de société négligé
Tant au niveau de la recherche que de la formation, le sujet est souvent abordé à la marge ; certains traités d'hydrologie ne l'abordent pas. Les indicateurs sont multiples et de compréhension inégale ; ils ont souvent pris une forme conjoncturelle liée à des objectifs ou des contraintes particulières, ce qui peut modérer leur portée ; ceci a été mis en évidence pour les débits objectifs d'étiages (DOE), appliqués à de nombreuses rivières. Cette situation complique le dialogue entre les sphères scientifiques et politiques, et freine par conséquent la prise en compte du sujet des sécheresses dans l'agenda politique.
4.4 Les sécheresses, hier, aujourd'hui et demain
La richesse des informations lorsqu'elles sont recueillies sur de très longues durées a été largement soulignée ; elles permettent de relativiser le caractère exceptionnel de certains évènements et contribuent à cerner la variabilité climatique ainsi que les phénomènes d'oscillation très basse fréquence (les sécheresses sur plusieurs années consécutives par exemple). Pour les travaux du GIEC, voici quelques conclusions proposées par Hervé Douville du CNRM :
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les activités humaines ont d'ores et déjà perturbé le cycle de l'eau, mais les effets des aérosols anthropiques ont en partie masqué celui des gaz à effets de serre GES au cours du xxe siècle ;
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au cours du xxie siècle, le changement climatique va accroître globalement la fréquence et la sévérité des sécheresses ;
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le Bassin méditerranéen sera particulièrement touché, l'Afrique sahélienne verra une saison des pluies plus tardive et moins régulière.
4.5 Les relais vers les décideurs et les responsables politiques
La clarté et la simplicité des messages, une nécessité pour être crédible et provoquer le passage à l'action. La recommandation vaut aussi bien pour certains experts que pour la SHF.
Sur un sujet aussi complexe et multiforme, le choix des mots, la brièveté du texte, la clarté des conclusions sont autant de contraintes supplémentaires incontournables, lorsque l'efficacité est attendue. La réduction des incertitudes sur les moyennes tendancielles et la meilleure appréciation de la variabilité climatique sont attendues des scientifiques. Néanmoins, l'adoption d'un langage commun, lorsque ces incertitudes ne sont pas réductibles, est apparue comme une nécessité. De même, le besoin de sensibiliser davantage le grand public sur la sécheresse a fait généralement consensus, afin de favoriser l'acceptabilité des décisions politiques par la pédagogie.
L'idée de « séquences d'investissements » a été proposée pour ne pas se limiter aux seules actions « sans regret » et pallier aux problèmes d'incertitudes. Le concept d'hydro-diplomatie a été avancé et souligne la nécessité d'une gestion coordonnée des ressources en eau lorsque celles-ci sont transfrontalières afin d'éviter qu'elles soient source de tensions politiques.
4.6 Des contributions plus significatives attendues des SHS
Les sciences humaines et sociales figurent dans les approches scientifiques attendues pour le colloque. Elles n'ont été que partiellement présentes : relativité des indicateurs, expression contingente des besoins en eau, effet de la structure politique sur les adaptations possibles (démontré pour les grands transferts), éclairage par les études économiques. L'adaptation a été peu abordée ; les études de scénarios à long terme « business as usual » sont, en dehors des mégapoles, beaucoup trop rares. La COP25 concomitante au colloque a donné lieu à des présentations et à des débats sur les questions de changement climatique et de ressources en eau ; des méthodologies d'adaptation sont proposées, mais le passage à l'action et la mise en place de financements sont apparus bien timides, en regard des enjeux.
4.7 Quelques recommandations plus spécifiques
Ces recommandations ont émergé de discussions pas toujours conclusives. La palette des solutions d'adaptation a été abordée de façon limitée : prévision à moyen terme, réduction des pertes et des consommations d'eau, amélioration du stockage (les bassines du Poitou, les grands barrages du fleuve Niger par exemple), remise en cause de l'irrigation et du recours systématiques aux retenues, appel à des techniques alternatives. Les recommandations émergentes sont les suivantes :
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une approche pluridisciplinaire, indispensable pour aborder durablement le nexus eau–alimentation–énergie ;
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adopter des plans adaptatifs pour intégrer les différentes échelles de temps et l'incertitude dans la prise de décision ;
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la nécessité de mieux cerner la diversité des perceptions sociales et des voies vers l'adaptation avec l'acceptabilité qui s'y rattache ; le nécessaire renforcement de la conscience du risque et de l'urgence à préparer le futur (le cas des 87 départements français soumis à arrêtés « sécheresses » en 2019 a été cité à plusieurs reprises comme une situation qui ne devrait pas perdurer) ;
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la nécessité de passer d'une gestion de la catastrophe à une gestion du risque, pour lequel la notion de résilience est centrale.
Cette synthèse a été rédigée à partir des contributions des quatre étudiants, Félix Demore, David Galibourg, Charlotte Peter et Paul Royer-Gaspard, qui ont présenté une synthèse en séance. Une recommandation personnelle du président du comité scientifique, auteur de cette synthèse à l'adresse de la SHF : aborder périodiquement et régulièrement (colloque, conférence, séminaire ou groupe de travail) ce sujet d'importance vitale pour le secteur de l'eau.
Une dizaine de communications devraient faire l'objet d'une publication ultérieure dans la revue de la SHF, La Houille Blanche. Les actes du colloque comprenant le résumé des communications et les textes complets des communications sur support numérique peuvent être obtenus au siège de la SHF.
Citation de l’article : Loudière D. 2020. Compte rendu du colloque international « sécheresses, étiages et déficits en eau ». UNESCO−SHF. La Houille Blanche : 86–88