Issue |
LHB
Number 2, Avril 2020
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Page(s) | 93 - 95 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/lhb/2020011 | |
Published online | 11 June 2020 |
In memoriam
André Daubert in memoriam
André Daubert in memoriam
1
EDF R&D,
Palaiseau, France
2
Société hydrotechnique de France,
Grenoble, France
3
Société hydrotechnique de France,
Paris, France
* Correspondance : pierre-louis.viollet@wanadoo.fr
Reçu :
9
Mars
2020
Accepté :
12
Mars
2020
La communauté des hydrauliciens et celle du calcul scientifique sont attristées par le décès de André Daubert, survenu le 13 février 2020, à l'âge de 87 ans. André Daubert a joué un rôle éminent dans l'émergence de la simulation en hydraulique, à partir des années 1960. Il a joué ensuite un rôle très important dans le développement de l'informatique et du calcul scientifique. Il a été pendant plus de 15 ans président du comité de rédaction de La Houille Blanche.
Abstract
Both communities of hydraulicians and informatics are in sorrow following André Daubert's death, which happened on February 13th, 2020, at the age of 87. André Daubert played an essential part in the initial development of simulation in hydraulics, starting in the 1960s. He then carried the development of informatics and scientific computation at EDF. He has been for more than 15 years chairman of the editorial board of La Houille Blanche.
Mots clés : hydraulique / hydro-informatique / calcul scientifique / informatique
Key words: hydraulics / hydroinformatics / scientific computing / informatics
© SHF, 2020
« Il est admis que le xxie siècle sera celui de la connaissance, et que l'économie industrielle devrait céder la place à l'économie de la connaissance. Cela ne veut pas dire que la production industrielle va disparaître, et que l'on a quitté le système de l'économie de marché. Dans ce dernier cadre, les connaissances et le savoir constituent une ressource au même titre que les matières premières, l'énergie, etc., mais pas de même nature. »
André Daubert, éditorial La Houille Blanche no 3, 2007 (extrait)
La communauté des hydrauliciens, tout comme celle du calcul et de l'informatique scientifique, est attristée par le décès d'André Daubert, survenu le 13 février dernier, à l'âge de 87 ans.
Tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec lui se souviennent de son sourire affable. Mais derrière cette apparente bonhomie discrète se cachait un travailleur acharné et passionné, un homme de vision et de conviction qui savait défendre ses points de vue avec ténacité et qui emportait très souvent la conviction et l'adhésion. Très entreprenant, jovial et toujours positif, il savait entraîner ses collaborateurs sur des voies nouvelles.
Né au Vietnam, pays auquel il est toujours demeuré attaché, André Daubert a fait ses études en France − notamment à l'École nationale supérieure d'hydraulique et de mécanique de Grenoble avant de rentrer au Laboratoire national d'hydraulique d'EDF à Chatou. Avec son épouse Odile, il y a constitué un tout premier noyau de recherches. Assurant la croissance de cette équipe, devenue la division Recherches, il en a assuré la direction, dans les années 1960, avant de prendre la direction du laboratoire en 1974. À partir de 1977, la seconde partie de sa carrière fut consacrée aux mathématiques appliquées et à l'informatique, comme chef du service informatique et mathématiques appliquées de la Direction des études et recherches (DER) d'EDF, puis du service de traitement de l'information d'EDF. Après sa retraite, il a joué un rôle éminent au sein de la Société hydrotechnique de France (SHF).
1 André Daubert et l'hydro-informatique
André Daubert a une place importante dans l'histoire de ce qu'on appelle en bon anglais « computational hydraulics ». Dans le milieu du xxe siècle, l'hydraulique était essentiellement un domaine expérimental de l'ingénierie − expérimental au sens où ses pratiques, approches et méthodes étaient fondées sur des expériences. Existaient les méthodes de modèles réduits et les théories de similitude mais dans ce domaine aussi les expériences personnelles, les essais, les « ajustements », et même l'intuition, prenaient beaucoup d'importance dès qu'il s'agissait des échelles distordues de modèles de laboratoires. Les problèmes fluviaux, les inondations, les eaux côtières, les marées côtières, et même les écoulements souterrains étaient encore plus concernés par ces approches. Les aménagements des embouchures, la prévision des niveaux des inondations, la propagation des ondes de crues étaient traités le plus souvent par des formules « expérimentales » contenant des coefficients « empiriques », souvent à ajuster en fonction des observations in situ généralement peu nombreuses, voire inexistantes. Ne parlons pas des réseaux urbains d'évacuation des eaux pluviales…
Par ailleurs, existaient les équations décrivant bien ces phénomènes physiques mais… leurs solutions analytiques n'existaient pas. Les mathématiciens jusqu'à nos jours n'ont pas trouvé les solutions des équations en question, différentielles et intégrales, non linéaires, généralement exprimant les lois physiques (conservation de la masse, de l'énergie, de la quantité de mouvement). Ainsi fut développée une branche de mathématique hydrodynamique théorique, construisant des équations le plus souvent linéarisées et discutant de possibilités de leurs solutions. Une branche obligatoire à connaître, certes, mais peu utile pour le quotidien des ingénieurs responsables de la construction des barrages, de digues, des usines hydroélectriques, ou encore de la gestion des crues.
Dans cette situation, l'hydraulique se développait davantage dans les institutions d'ingénieurs responsables des réalisations que dans les facultés universitaires.
Les idées nouvelles consistaient à remplacer des équations différentielles par leurs analogues aux différences finies et rechercher des solutions numériques donc approximatives de ces nouveaux systèmes algébriques. Une telle voie ne pouvait être raisonnable qu'à deux conditions. Premièrement, il fallait être sûr que les solutions ainsi obtenues sont proches des solutions des équations différentielles d'origine (solutions qu'on ne connaissait pas !). Deuxièmement, pour résoudre numériquement les approximations algébriques, il fallait les moyens : les ordinateurs.
La seconde condition fut satisfaite dans les années 1960 ; il faut se rappeler que n'importe quel smartphone actuel marche des dizaines de milliers de fois plus vite que l'IBM 650 de l'époque. La première condition exigeait cependant des développements de nouvelles branches des mathématiques : celles de l'analyse numérique. Car il fallait prouver pour chaque classe d'équations décrivant les phénomènes physiques d'écoulements que ses approximations numériques et les méthodes de leur résolution inventées par diverses personnes et instituts soient correctes. Correctes, c'est-à-dire que les approximations sont consistantes, que les solutions existent en fonction de conditions aux limites et que ces solutions, avec le raffinement des approximations convergent vers les vrais solutions (inconnues !) des équations d'origine.
Le fait historique est que cette approche, ce travail et leurs applications ont d'abord eu lieu en France puis en Europe lors de la décennie 1960 (N.B. : un travail de modélisation fait et publié par l'université de New York en 1953 fut jeté aux oubliettes par l'US Army Corps of Engineers comme « un travail des intellectuels académiques »). Ce domaine est devenu dans les années 1970 une industrie européenne d'abord, puis mondiale pour aboutir dans les années 1990-2010 en une technologie d'utilisation quotidienne du métier d'ingénieur sous le nom d'hydro-informatique.
Dans les années 1960, existaient deux groupes de développeurs de cette nouvelle technologie de la simulation numérique des écoulements : celui du LNH à EDF travaillant sous l'impulsion d'André Daubert et celui de SOGREAH sous la direction de Francis Biesel et Alexandre Preissmann.
Le travail théorique d'André Daubert reste dans l'histoire de ces développements comme un apport extrêmement important : il a influencé notamment par ses publications en 1967 tout ce qui se passa par la suite. Il n'y a pas eu de « guerre » entre ces deux groupes, au contraire, c'était une sorte de « communauté de développeurs » et il est essentiel de souligner ici le travail d'André Daubert pour maintenir les échanges scientifiques et techniques entre les différentes institutions impliquées dans le domaine d'hydraulique numérique (SOGREAH d'abord puis d'autres) et le LNH/EDF.
2 André Daubert et l'essor de l'informatique scientifique chez EDF
André Daubert a assuré la direction du LNH de Chatou de 1974 à 1977, succédant à Jean-Claude Lebreton. Les années 1960 avaient vu le LNH se constituer en département de la DER d'EDF avec trois grosses divisions : Hydraulique maritime, Hydraulique fluviale et Hydraulique générale avec un groupe hydrologie basé en partie à Montpellier, un bureau de construction chargé de la réalisation des modèles et un groupe Recherches chargé du développement de la modélisation et de la simulation numérique. C'est dans ce dernier domaine qu'André Daubert fut précurseur, poussant le développement de codes de calcul d'abord en différences finies cartésiennes puis en différences finies curvilignes. Il a également favorisé le développement de modèles avancés, en particulier dans le domaine de la turbulence.
Après sa carrière au LNH, dont il laissa la direction à François Boulot, convaincu comme lui de l'intérêt des modèles mathématiques, ce fut une seconde partie de la vie professionnelle d'André Daubert, consacrée à l'informatique. André Daubert était un homme qui avait une vision très positive du progrès scientifique. Il a très tôt identifié tous les apports que l'on pouvait attendre de l'informatique dans tous les domaines. Cette partie de sa carrière s'est déroulée au sein du service informatique et mathématiques appliquées (IMA) de la DER, qu'il a dirigé au début des années 1980, puis au sein du service du traitement de l'information (STI) qui assurait le soutien en informatique pour l'ensemble d'EDF. À IMA, il a continué à pousser le développement de la modélisation et de la simulation numérique. Il a créé le département mécanique et modèles numériques qu'il confia à Yves Bamberger. Il s'est beaucoup investi dans la politique de codes de calcul avec une vision des outils de calcul qui l'amena à proposer une approche qui distingue pré-processeur, solveur de calcul et post-processeur et à développer des stratégies spécifiques à chacun des éléments de cette chaîne. Soucieux de transversalité et d'éviter la création de chapelles, il fut également à l'origine des « coordinations », structures transverses aux départements de la DER qui organisaient la collaboration autour de chantiers disciplinaires (coordination mécanique, coordination thermo-hydraulique, coordination fonctionnement, etc.).
Mais la simulation numérique est gourmande en ressources informatiques, ce qui le conduisit à pousser le calcul vectoriel et à accueillir au début des années 1980 le premier ordinateur Cray dont disposera la DER et qui sera suivi de nombreux autres. Il a également développé l'usage des stations de travail pour les chercheurs et s'est intéressé très tôt aux apports de la micro-informatique et de la bureautique. Il fut à l'origine de la première messagerie d'entreprise avec le projet CESAR. Il a également porté des chantiers comme le réseau informatique RETINA exploité par EDF avec l'objectif de faire communiquer machines américaines et machines françaises, la reprise numérique des archives d'EDF avec le projet OCR (Optical Character Recognition) ou la conception assistée par ordinateur. Le service IMA était également à cette époque en charge de l'exploitation informatique en production de codes de calcul clés pour le métier d'EDF, avec toutes les contraintes d'exploitation associées. Ce fut le cas par exemple avec le SGEP qui définissait le programme de production journalier des différentes centrales d'EDF.
3 André Daubert et le transfert et la diffusion des connaissances en hydraulique
André Daubert a toujours été très attaché au transfert et à la diffusion des connaissances. Lorsqu'il était au LNH, il a développé l'implication du laboratoire au sein de l'Association internationale de recherche en hydraulique (AIRH) et a poursuivi son investissement dans la SHF. Il fut aussi pendant de nombreuses années enseignant à l'École nationale des Ponts et Chaussées dans l'équipe de mécanique des fluides animée à cette époque par Michel Hug. On lui doit en particulier deux chapitres du traité « Mécanique des fluides appliquée aux problèmes d'aménagement et d'énergétique » rédigé par cette équipe. Ses activités d'enseignement lui valurent d'être nommé Chevalier dans l'Ordre national des Palmes académiques.
Après sa retraite d'EDF, André Daubert s'est beaucoup investi, et pendant des années, dans les activités de la SHF, en tandem avec Yves Marolleau, qui était alors président du Comité scientifique et technique (CST) de la SHF. Il a été à l'origine du site internet de la SHF et a été extrêmement impliqué dans le fonctionnement scientifique de la société.
Il a été président du comité de rédaction de La Houille Blanche de 1994 à 2010, ainsi que vice-président du BCST de la SHF. La SHF lui doit beaucoup.
Remerciement
Les auteurs remercient Odile Daubert, Yves Bamberger, François Boulot, Paul Godin, Yves Marolleau, Michel Uan, Neda Sheibani.
Citation de l’article : Chabard J-P, Cunge J, Viollet P-L. 2020. André Daubert in memoriam. La Houille Blanche : 93–95