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Issue
LHB
Number 3, Juin 2020
Page(s) 82 - 85
DOI https://doi.org/10.1051/lhb/2020031
Published online 28 July 2020

© SHF, 2020

Les coronavirus appartiennent à la famille des coronavidés, en circulation naturelle parmi de nombreuses espèces animales, avec des effets variés, de l'inoffensif au mortel. Ce sont des virus à ARN, très sujets à mutation et au génome très long, donc propices à des recombinaisons.  Quatre types de coronavirus bénins sont déjà connus chez l'humain pour affecter les systèmes respiratoire (ils seraient responsables de 15 à 30 % des rhumes courants), et plus rarement gastro-intestinal, cardiaque et nerveux.

Les analyses génétiques ont très tôt montré que le SARS-CoV-2 appartient au même groupe des Betacoronavirus que le virus RaTG13, isolé à partir d'une chauve-souris provenant de la province chinoise du Yunnan.

La maladie Covid-19 se transmet entre les individus par les postillons (éternuements, toux). On considère que les contacts étroits avec une personne infectée sont nécessaires pour transmettre la maladie : même lieu de vie, contact direct à moins d'un mètre lors d'une toux, d'un éternuement ou une discussion en l'absence de mesures de protection. Un des autres vecteurs privilégiés de la transmission du virus est le contact de mains non lavées avec le visage. C'est pourquoi les gestes barrières, comme se laver les mains très régulièrement, utiliser des mouchoirs à usage unique, porter un masque, ainsi que les mesures de distanciation sociale sont devenues indispensables tant que durera la crise pour se protéger de la maladie.

La question de la qualité de l'eau s'est posée de manière centrale pendant cette crise, qu'il s'agisse de l'eau que l'on boit au robinet, de celle que les municipalités utilisent pour le nettoyage des rues, des eaux de baignade, du maintien de la performance des stations d'épuration des eaux usées et de la gestions des boues qui en sont issues. Avant même les mesures de confinement, une cellule de crise a été montée entre la Direction de l'Eau et de la Biodiversité, la Direction Générale de la Santé, la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) afin d'évaluer la situation et agir de concert pour prévenir les risques de dysfonctionnements. Les webconférences organisées tout au long de la crise par la FNCCR ont réuni en moyenne 250 adhérents et ont permis de remonter de façon fine les enjeux du terrain et relayer les messages nationaux.

Globalement, concernant le cycle de l'eau, les Français ont bénéficié de la continuité du service public pour les usagers. Avec toutefois quelques bémols qui ont révélé de manière sensible les inégalités entre les territoires face à l'accès à l'eau, dans un contexte où celui-ci s'avérait indispensable pour le respect de gestes barrières. Ainsi, on estime que 80 % des squats et bidonvilles en métropole n'ont pas accès à l'eau2. Pour ce qui concerne les départements d'outre-mer (DOM), l'accès à l'eau courante n'est pas généralisé. À Mayotte, par exemple, où l'habitat est majoritairement constitué de constructions précaires, l'approvisionnement en eau s'effectue via des bornes-fontaines. Quant à la Guadeloupe et dans une moindre mesure la Martinique, elles sont régulièrement confrontées à des difficultés d'approvisionnement et même des coupures d'eau quotidiennes dans certains secteurs. Cette situation a été aggravée par une sécheresse extrêmement sévère depuis quelques mois, qui rend complexe le lavage régulier des mains préconisé par le Ministère des solidarités et de la santé.

Face à l'ampleur de la crise et à sa progression rapide – 91 décès cumulés en hôpital et Ehpad en France en date du 14 mars, 4032 au 1er avril, 24 594 au 1er mai –, les collectivités et les exploitants ont dû s'organiser dans l'urgence.

Un plan de continuité d'activité (PCA) a été adapté en priorisant la protection des agents et le respect des règles d'hygiène nécessaires, puis la continuité du service

Selon Régis Taisne, Chef du département Cycle de l'eau de la FNCCR, ≪ on estime qu'1% de la population travaillant dans la filière a été touchée par le virus. Un chiffre relativement peu élevé, grâce à la mise en place de stratégie de protection, comme la mise en réserve des agents avec des rotations toutes les trois semaines ou la protection accrue des agents intervenant en surface près d'un approvisionnement d'eaux usées ».

La difficulté majeure restait la mise à disposition de masques, dans un contexte de rupture de stocks. La FNCCR et la FP2E – Fédération professionnelle des entreprises de l'eau – ont rapidement estimé les besoins hebdomadaires en masques FFP2 à 90 000 pour les exploitants publics et privés. Une dotation de l'Etat de 86 000 masques fin mars a permis de parer au plus pressé. De son côté, la FNCCR et France Eau Publique ont pris en charge le transport et la distribution dans l'ensemble des départements français.

Les services ont dû nettement réduire, voire reporter les interventions non urgentes ou non indispensables. Le décret no 2020-453 du 21 avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 et la note de la direction de l'Eau et de la Biodiversité ont assoupli les systèmes d'autosurveillance des systèmes d'assainissement pendant la crise du Covid-19. En cas d'impossibilité résultant des mesures prises pour limiter la propagation du virus, les 52 mesures de pollution/an normalement réalisées en entrée et sortie des stations de traitement des eaux usées de 30 000 Eq habitants et plus, ont été remplacées par des mesures d'autocontrôle réalisées par l'exploitant. Concernant les autres stations, les mesures d'autosurveillance non réalisées ont été reportées et ont repris depuis le 24 juin 2020.

Dans ce contexte tendu, des messages forts sur la qualité de l'eau du robinet, consommée quotidiennement par 67 % des Français, ont été envoyés à la population : l'eau pouvait être consommée en toute sécurité et n'était pas un vecteur de transmission du virus. Les agences sanitaires, dont l'OMS, ont dans leur ensemble corroboré ces informations.

L'eau est un milieu peu propice pour le Covid, en raison de son enveloppe fragile. Par ailleurs, les étapes usuellement mises en place en France par les services de distribution d'eau, à commencer par les diverses méthodes de désinfection (chlore, ozone, UV) ont pour finalité d'éliminer tous les virus. Selon le Centre d'information sur l'eau, 28 millions d'analyses sont effectuées chaque année sur l'eau du robinet, en faisant ≪ le produit alimentaire le plus contrôlé »3. 97,8 % de la population est alimentée par de l'eau respectant en permanence les limites de qualité fixées par la réglementation pour les paramètres microbiologiques4.

Enfin, pour rendre encore plus irréprochable la qualité de l'eau du robinet pendant la crise, les Agences régionales de santé (ARS) ont demandé à certaines collectivités de procéder à une sur-chloration de l'eau (augmentation du dosage de chlore dans le réseau d'eau potable). Des villes comme Toulouse, Strasbourg, Annecy ont ainsi mis en place cette mesure préventive. Comme l'a expliqué le 7 avril 2020 sur France 3, Jérôme Cimetière, Directeur du service d'eau potable du Grand Annecy, ≪ Le chlore permet une oxydation, c'est-à-dire que son action va dissoudre les cellules des bactéries et virus. Il a aussi une autre vertu, celle de conserver la qualité sanitaire de l'eau, notamment quand elle stagne dans les tuyaux entre le réservoir et le robinet de l'abonné le plus éloigné. Le dosage de chlore est de 0,1milligrammes à 0,3milligrammes par litre d'eau. Ce sont des petites quantités que l'on retrouve dans beaucoup de réseaux de France »5.

Qu'en est-il des circuits d'eau non potable pendant cette crise sanitaire ?

Des inquiétudes parmi la population ont été déclenchées mi-avril 2020, à la suite d'une annonce de la régie municipale eau de Paris6 au sujet de la présence en quantités infimes de traces du virus sur 4 des 27 points de prélèvements testés par son laboratoire. Le réseau d'eau non potable est alimenté dans la capitale par une eau dite ≪ brute », prélevée dans la Seine et le canal de l'Ourcq et acheminée sans traitement lourd. Ce réseau permet d'arroser certains parcs et jardins, de nettoyer les rues, de faire fonctionner les lacs et les cascades des parcs et bois. Cette eau n'a pas vocation à être bue, mais son aérosolisation, c'est-à-dire sa dispersion en particules très fines posait question, notamment dans le cadre du nettoyage des rues et de l'arrosage des jardins publics, bien que ceux-ci aient été fermés pendant toute la période de confinement.

Concrètement, les analyses démontraient la trace de 1000 fragments de génome de virus par litre d'eau non potable ; un chiffre 3000 à 5000 fois inférieur aux concentrations enregistrées dans les eaux usées brutes et donc une présence qualifiée d'infinitésimale par les microbiologistes, sans qu'une dangerosité en soit avérée.

Comme pour chaque épidémie de grippe, l'origine de ces traces s'avère naturelle. Le virus se trouve dans les matières fécales des porteurs de la maladie, et donc dans les eaux de toilettes. Lorsqu'elles ne sont pas traitées en stations d'épuration, ces eaux se retrouvent en milieu naturel, comme les rivières et les canaux et sont soumises à une filtration grossière, permettant d'enlever les débris et particules d'une taille supérieure à 4 millimètres.

Les eaux usées, réceptacles des rejets humains, sont le reflet des micro-organismes présents dans la population humaine. Logiquement, les analyses des eaux usées de régions fortement touchées par l'épidémie de Covid-19 comme la région parisienne et le Grand Est, ont révélé la présence du génome de SARS-CoV-2, dans des quantités corrélées avec le nombre de personnes hospitalisées. Cette présence est détectable dans les eaux usées avant même que la personne devienne contagieuse et permettrait un traçage anticipé de l'épidémie. C'est la thèse des chercheurs travaillant sur la corrélation entre le nombre de patients Covid-19 hospitalisés et la concentration de virus dans les eaux usées dans le cadre de l'étude Obépine7. L'analyse des eaux usées s'avère être un indicateur permettant de déceler en amont le démarrage de l'épidémie, avant même un afflux de patients vers les hôpitaux. Le projet Obépine est fortement soutenu par le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) composé de 12 médecins et chercheurs et présidé par Françoise Barré-Sinoussi, biologiste virologue à l'Institut Pasteur/Inserm.

Quant à la dangerosité de l'utilisation de cette eau, elle n'a pas été confirmée : on attrape le virus par voie respiratoire et aucun cas positif lors d'une ingestion n'a été rapporté. Toutefois, adoptant le principe de précaution et ne pouvant exclure la présence de virus dans les eaux naturelles, le HCSP (Haut Conseil de la santé publique) recommandait l'utilisation d'eau destinée à la consommation humaine du réseau public pour les usages d'hygiène publique. S'il ne pouvait être réalisé avec de l'eau du réseau public, le nettoyage des espaces publics pouvait être maintenu avec l'eau habituellement utilisée mais en excluant l'usage de générateurs d'aérosols et en utilisant des arrosages permettant de limiter la pulvérisation de fines gouttes. ≪ Il convient également de vérifier que les stations de lavage des véhicules en libre-service sont toutes alimentées en eau du réseau public », précisait le Haut Conseil.

Dans la gestion du cycle de l'eau en période de crise sanitaire, s'est également posée la question centrale de l'hygiénisation des boues d'épuration. Les boues de stations de traitement des eaux usées produites lors de l'épidémie de Covid-19 peuvent-elles disséminer le virus lors des épandages agricoles ? Plus de 70 % des boues issues des stations de traitement des eaux usées sont en effet utilisées en agriculture, dans le but d'apporter aux sols de la matière organique et des éléments fertilisants comme l'azote et le phosphore. Saisie en urgence sur cette question en début d'épidémie dès le 20 mars, l'Anses a basé son analyse sur les connaissances scientifiques concernant d'autres virus, entérovirus, phages et coronavirus animaux.

Pour les boues ayant subi un traitement hygiénisant pendant la période épidémique, l'Anses a considéré le risque de contamination par le SARS-CoV-2 comme faible à négligeable. L'utilisation agricole des boues d'épuration est encadrée par l'arrêté du 8 janvier 1998 qui fixe précisément les exigences à respecter pour qu'une boue soit considérée comme hygiénisée. Des traitements robustes et encadrés sont appliqués : compostage, séchage thermique, digestion anaérobie thermophile (dégradation biologique complète dans un environnement dépourvu d'oxygène libre) et chaulage (25 % des boues traitées). Ils ont pour but la caractérisation initiale sur Salmonella < 8 NPP/10 g MS ; entérovirus < 3 NPPUC/10 g MS ; œufs d'helminthes pathogènes viables < 3/10 g MS, la mesure des coliformes thermotolérants en parallèle pour servir d'étalon puis le suivi de coliformes thermo tolérants (E coli) avec une fréquence renforcée pour vérifier la cohérence avec la caractérisation initiale.

Il n'en va pas de même pour les boues n'ayant pas subi de traitement considéré comme hygiénisant. L'état des connaissances actuel ne permet par ailleurs pas de définir une période de stockage au-delà de laquelle le virus pourrait être inactivé. Le Ministère de la transition écologique et solidaire co-pilote avec la FNCCR, la FP2E, le laboratoire national de métrologie et d'essais et des universitaires une étude ≪ phagesboues » pour définir un protocole permettant d'une part de valider des traitements performants face au virus Sars-Cov-2 sans forcément aller jusqu'à l'hygiénisation au sens de l'article 16 de l'arrêté de 1998 (séchage solaire, méthanisation mésophile, stockage longue durée…) et de définir des marqueurs pertinents et faciles à mesurer : les coliphages somatiques et bactériophages à ARN F-spécifiques. ≪ Les résultats sont attendus début juillet et nous espérons évidemment que les résultats permettront d'envisager la reprise des épandages dès la fin de l'été, au moins pour certaines filières. » explique Régis Taisne.

≪ Les restrictions de retour au sol des boues non hygiénisées, formalisées dans la circulaire du 2 avril 2020, ont confronté certains services d'eau et d'assainissements à de grandes difficultés techniques et financières », rappelle Muriel Floriat, Responsable du Pôle Eau de l'association Amorce. Elles ont particulièrement impacté les plus petites stations d'épuration, souvent en milieu rural, qui épandaient les boues liquides. Dans ce contexte, le rôle d'Amorce est de participer de façon constructive à un groupe de travail pour produire une FAQ ministérielle permettant à la mise en œuvre de ces nouvelles directives dans les territoires et aussi d'informer ses adhérents au travers notamment de ses webinaires et de répondre à des questions parfois assez techniques et pratiques. AMORCE prépare également des sessions à destination des nouveaux élus municipaux pour les former aux enjeux de demain du monde de l'eau, et notamment des enjeux sanitaires, sans oublier le changement climatique.

Si les agences de l'eau ont commencé à mobiliser des fonds pour aider les collectivités et les industriels à affronter le surcoût de la gestion des boues non-hygiénisées, il est clair que la pandémie aura un impact durable sur la filière de l'eau.

Enfin, la fin de la période de confinement en France, le 11 mai 2020, alors que le pays dénombrait 24 594 décès des suites du Covid-19, a mis en lumière un dernier sujet avec la contamination des eaux côtières, des lacs et des rivières.

Plusieurs études sur la propagation du virus en milieu aquatique ont été menées. Ainsi, l'Ifremer, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer a réalisé des analyses moléculaires sur des coquillages (huîtres et moules) prélevés sur plusieurs sites de Normandie, en Bretagne, sur la côte atlantique et en mer Méditerranée, une stratégie d'échantillonnage permettant d'obtenir une couverture nationale et équilibrée des façades maritimes de la métropole. L'Ifremer a par ailleurs affiné son protocole de recherche du SRAS-CoV-2 afin d'assurer la fiabilité des analyses. Ce protocole par PCR (Polymerase Chain Reaction), technique d'amplification d'ADN in vitro, est semblable à celui utilisé pour le dépistage chez l'homme : il permet de détecter le génome du virus dans les échantillons.

Soizik Le Guyader, qui a mené cette recherche, a révélé l'absence de traces du SARS-CoV-2 dans les échantillons d'eau de mer et de mollusques analysés. Elle souligne toutefois que ≪ nous n'avons pas prélevé d'échantillons dans toutes les zones littorales sensibles aux contaminations par des rejets humains; d'autre part, sur les 7 à 9grammes de tissus de coquillages prélevés, nous n'en analysons qu'une petite partie. Nous avons donc décidé de poursuivre nos prélèvements et nos analyses sur les mêmes sites tous les 15jours pendant encore plusieurs mois, afin de suivre les éventuels effets d'une circulation potentiellement accrue du virus dans la population dans le contexte de la levée progressive des mesures de confinement »8.

Aujourd'hui, à quelques jours en France de la fin de l'état d'urgence sanitaire, un plan d'aides publiques à la filière eau s'impose d'ores et déjà, tout comme il s'est imposé pour d'autres secteurs économiques.

Seront aussi à encourager les échanges avec nos partenaires européens, comme l'Italie qui a ouvert la voie d'une valorisation énergétique des boues par combustion après séchage ou l'Allemagne qui prévoit la méthanisation de toutes les boues des grandes stations de traitement des eaux usées puis leur incinération.


1

Selon la définition de l'OMS, une pandémie grippale se définit d'un point de vue épidémiologique par un taux d'attaque élevé s'expliquant par une dissémination rapide et une très haute morbidité (un très grand nombre de cas) ; le niveau de la mortalité n'entre pas dans cette définition, un taux d'attaque élevé n'impliquant pas nécessairement une très forte pathogénicité – autrement dit, une partie importante de la population est infectée sans que n'augmentent en proportion les formes graves de la maladie). https://www.who.int/fr.

2

Enquête Novascopia Programme national de médiation sanitaire https://www.novascopia.fr/novanews/-programme-national-de-mediation-sanitaire.

4

Source : Direction Générale de la santé, août 2018 https://www.eaufrance.fr/publications/la-qualite-de-leau-du-robinet-donnees-2017.

7

Observation épidémiologique dans les eaux usées menée depuis le 5 mars 2020 par les chercheurs d'Eau de Paris, Sorbonne Université et le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap).

Citation de l’article : Paplorey C. 2020. L'impact de la crise sanitaire du Covid-19 sur le cycle de l'eau en France. La Houille Blanche : 82–85