Issue |
LHB
Number 2, Avril 2020
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Page(s) | 49 - 62 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/lhb/2020020 | |
Published online | 11 June 2020 |
Article de recherche / Research Article
Vers une nouvelle interprétation des conflits autour de la ressource en eau au Mexique : des controverses pour l'accès à l'eau aux revendications patrimoniales
Towards a new interpretation on water conflicts in Mexico: from disputes for water access to patrimonial claims
1
Chercheuse associée, Centro de Estudios Mexicanos y Centroamericanos (CEMCA) (CNRS USR 3337 America Latina),
Mexico, Mexique
2
Chercheuse associée, Laboratoire CITERES (UMR 7324), équipe CoST,
Tours, France
* Correspondance : jade.latargere@cemca.org.mx
Reçu :
31
Mars
2020
Accepté :
29
Avril
2020
Les conflits autour de l'eau au Mexique sont généralement attribués à des problèmes de disponibilité ou à l'inégale distribution de la ressource. Cet article cherche à renouveler les traditionnels cadres d'interprétation sur la conflictualité, en analysant deux situations de conflit sur l'eau liées à l'urbanisation dans l'État du Morelos à partir d'une approche constructiviste. Nous postulons que de la même façon que les confits environnementaux, les conflits autour de l'eau ne sont pas la conséquence directe de problèmes physiques et sont aussi des constructions sociales et culturelles. Étant donné que les communautés paysannes et indiennes entretiennent une relation spéciale avec la ressource en eau, il est possible d'envisager qu'elles ne se mobilisent pas uniquement pour protéger leur accès à l'eau ou garantir la continuité de certaines activités économiques mais aussi pour préserver certaines infrastructures hydrauliques, certains paysages ou un certain mode d'organisation autour de l'eau. Plus concrètement, nous montrons que dans l'État du Morelos, les communautés paysannes ont un attachement spécial pour certains réseaux d'eau gravitaires qui ont été mis en place après la Révolution mexicaine. Ces réseaux ne servent pas uniquement pour l'approvisionnement en eau ou l'irrigation des cultures, ils sont aussi le support de certaines pratiques sociales et constituent un référent symbolique, identitaire et territorial. Cependant, les formes particulières de l'urbanisation dans le Morelos ont provoqué la pollution et/ou le tarissement de nombreuses sources d'eau, entraînant la déstructuration de ces réseaux d'eau traditionnels. À travers l'analyse détaillée de la façon dont les groupes mobilisés formulent le problème, nous mettons en évidence que les conflits sur l'eau n'expriment pas uniquement une demande d'accès à l'eau, mais aussi des revendications d'ordre patrimonial : les communautés paysannes se mobilisent pour préserver certains points d'eau, certaines infrastructures (réseaux et réservoirs d'eau) qui ont pour eux une signification particulière. Même si dans le Morelos, les réseaux d'eau sont le support d'une culture hydraulique singulière, le projet patrimonial ne répond pas seulement à la volonté de conserver certaines traces qui se trouvent menacées de disparition et revêt des enjeux politiques et identitaires pour les communautés agraires, qui ont subi de profonds bouleversements à la suite des réformes du statut des terres ejidales. Cependant, les acteurs publics sont réticents à adopter des dispositifs d'action patrimoniale qui entrent en contradiction avec les valeurs dominantes de la politique hydrique et la conflictualité reste latente.
Abstract
Water conflicts in Mexico are usually associated with water resource availability and unequal distribution. This article renews interpretations of water conflicts in Mexico, by adopting a constructivist approach to analyze two water conflicts in the State of Morelos. We consider that as environmental conflicts, water conflicts are not the direct result of physical problems and are socially and culturally produced. As many indigenous and peasant communities maintain a special relationship with water, they don't only struggle to ensure water access or protect economic activities and can fight to preserve some hydraulic infrastructure, some water landscapes or a certain mode of organization around water. Specifically, we show that in the State of Morelos, peasant communities have a special attachment to certain water gravity networks that were established after the Mexican Revolution. These water networks not only serve for water supply and have a great importance as a support of spatial and social practices, but also as a symbolic reference and a territorial landmark. But as a result of massive urbanization in Morelos, many natural springs have dried up and become polluted, disturbing the running of these traditional networks. Through the detailed analysis of the way those involved formulate the problem, we demonstrate that conflicts do not only express demands for water access, but also patrimonial claims: peasant communities mobilize because they want to preserve some water points, some hydraulic infrastructure (water networks, water tanks) that have a special meaning for them. Although in Morelos, water networks have given rise to a specific hydraulic culture, the patrimonial project is not only linked to the will of preserving a cultural heritage that may disappear, but also has a political relevance for peasant communities that have been deeply shaken up by the land reforms of the 1990s. Nevertheless, the stakeholders in public water resources do not take patrimonial claims into account, and conflicts are latent.
Mots clés : conflit / réseaux d'eau / Mexique / patrimoine / communautés paysannes
Key words: conflict / water networks / Mexico / cultural heritage / peasant communities
© SHF, 2020